NULLA DIES SINE LINEA

NULLA DIES SINE LINEA

La bonne chanson - Paul Verlaine


La Bonne Chanson

154496_725248807565488_39033404241894462472.jpg

 

Quinze longs jours encore et plus de six semaines

Déjà ! Certes, parmi les angoisses humaines

La plus dolente angoisse est celle d’être loin.

On s’écrit, on se dit comme on s’aime ; on a soin

D’évoquer chaque jour la voix, les yeux, le geste

De l’être en qui l’on mit son bonheur, et l’on reste

Des heures à causer tout seul avec l’absent.

Mais tout ce que l’on pense et tout ce que l’on sent

Et tout ce dont on parle avec l’absent, persiste

A demeurer blafard et fidèlement triste.

Oh ! l’absence ! le moins clément de tous les maux !

Se consoler avec des phrases et des mots,

Puiser dans l’infini morose des pensées De quoi vous rafraîchir, espérances lassées,

Et n’en rien remonter que de fade et d’amer !

Puis voici, pénétrant et froid comme le fer,

Plus rapide que les oiseaux et que les balles

Et que le vent du sud en mer et ses rafales

Et portant sur sa pointe aiguë un fin poison,

Voici venir, pareil aux flèches, le soupçon

Décoché par le Doute impur et lamentable.

Est-ce bien vrai ? tandis qu’accoudé sur ma table

Je lis sa lettre avec des larmes dans les yeux,

Sa lettre, où s’étale un aveu délicieux,

N’est-elle pas alors distraite en d’autres choses ?

Qui sait ?

Pendant qu’ici pour moi lents et moroses 

Coulent les jours, ainsi qu’un fleuve au bord flétri,

Peut-être que sa lèvre innocente a souri ?

Peut-être qu’elle est très joyeuse et qu’elle oublie ?

Et je relis sa lettre avec mélancolie.

 

♥ Paul Verlaine ♥

 

Trefle-32.png Poésies Trefle-32.png



25/02/2015
0 Poster un commentaire