Les ombres - Jacques Prévert
Tu es là
en face de moi
dans la lumière de l'amour
Et moi
je suis là
en face de toi
avec la musique du bonheur
Mais ton ombre
sur le mur
guette tous les instants
de mes jours
et mon ombre à moi
fait de même
épiant ta liberté
Et pourtant je t'aime
et tu m'aimes
comme on aime le jour et la vie ou l'été
Mais comme les heures qui se suivent
et ne sonnent jamais ensemble
nos deux ombres se poursuivent
comme deux chiens de la même portée
détachés de la même chaîne
mais hostiles tous deux à l'amour
uniquement fidèles à leur maître
à leur maîtresse
et qui attendent patiemment
mais tremblants de détresse
la séparation des amants
qui attendent
que notre vie s'achève
et notre amour
et que nos os leur soient jetés
pour s'en saisir
et le cacher et les enfouir
et s'enfouir
et s'enfouir en même temps
sous les cendres du désir
dans les débris du temps
© Jacques Prévert
Les images menaçantes des Ombres
rendent l’angoisse du désamour terriblement présente ;
en trois temps brefs se parcourt le chemin vers la mort :
tout d’abord heureusement partagé,
puis aux prises avec la perte de la confiance,
l’amour devient impossible et s’enfouit
"sous les cendres du désir", "dans les débris du temps".
Comme si les amants poursuivis par leurs ombres
devenaient ombre eux-mêmes et ne pouvaient plus se rejoindre
que dans ce qui leur est devenu un tombeau.
© Danielle Ros
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