Comment faire du temps notre ami ? © Jean-Louis Servant-Schreiber
La plupart d'entre nous ont mal à leur temps
et ne savent pas que ça se soigne.
Courir après les minutes, sentir le stress nous gagner
au fil de la journée est devenu si banal
que nous finissons par le croire normal.
Il n'est pas si difficile que ça de réagir.
Il suffit de nous observer nous-même et de comprendre
que chaque heure est un morceau unique de notre vie.
Le temps peut ainsi devenir notre ami le plus précieux.
Vous connaissez le pouvoir des mots.
Ils nous rapprochent de la connaissance,
nous projettent dans l'imaginaire,
colorent à volonté la réalité.
Ils nous font aussi prendre des vessies pour des lanternes.
Faisons ensemble l'expérience d'un petit décalage.
Dans quelques expressions courantes qui parlent du « temps »,
remplaçons-le par le mot « Vie ».
Ainsi, au lieu de : « Cela prend du temps »
disons : « Cela prend de la Vie ».
Transposons ainsi à chaque phrase et écoutons
ce qui se passe dans notre tête :
est-il besoin d'insister ?
Mettre « Vie » à la place de « Temps »,
c'est comprendre qu'en pratique, pour un individu,
c'est bel et bien la même chose.
Voilà qui confère à la recherche d'une relation amicale
avec le temps toute l'importance qu'elle doit revêtir : vitale.
Le malheur d'être autodidacte
Vie plus longue, heures plus courtes, ainsi se présente
le temps du nouveau siècle, pour nous qui allons y vivre.
Un bébé fille qui vient de naître a
une chance sur deux de voir l'année 2100.
Et tous les enfants du millénaire travailleront
encore moins que leurs parents.
Lesquels avaient pourtant vu fondre, au siècle dernier,
la durée de leur journée de travail, comme la longueur de leur vie active.
De plus en plus de loisirs et de temps pour soi, donc ?
Comment se fait-il, alors, que l'on se plaigne plus que jamais
du stress et du manque de temps, bien plus
que du manque d'argent, de verdure ou de liberté ?
Peut-être parce que, comme toutes les choses
importantes de la Vie, bien utiliser son temps
n'est pas enseigné à l'école.
Pas plus, d'ailleurs, que réfléchir, aimer, se connaître
et se changer, bien se nourrir, élever ses enfants,
faire un bon usage de l'argent, écouter les autres…
Nous sommes donc tous, en la matière, des autodidactes.
Dès l 'école, on nous affuble d'une montre
et on nous distribue des horaires de cours.
Initiation éclair.
Peu après commencent à s'empiler dans notre petit panier
(qui ne contient, après tout, que vingt-quatre heures) :
métro, réunions, boulot, rendez-vous, dodo, coups de téléphone,
repas, sports, shopping, ébats amoureux, journaux à lire,
biberons à donner, notes à rédiger, courses à faire – et zut !...
c'est encore Noël et je n'ai toujours pas acheté les cadeaux !
Certains craquent, d'autres s'organisent.
La plupart ont mal à leur temps et ne savent pas que ça se soigne.
On nous fait croire que le temps, c'est de l'argent.
Mais, dès que l'on comprend que c'est la Vie, la nôtre,
on ne peut pas se résigner à un malaise qui mine
à la fois notre efficacité et notre plaisir à goûter les jours.
Dans les pays en voie de développement,
quand la suffisance alimentaire succède
à l'immémoriale privation, les humains ne résistent pas.
Beaucoup commencent à s'empiffrer et à grossir,
et plus ils sont riches, plus ils sont gras.
Certains en meurent .
Quelques générations plus tard,
ils se trouvent laids, mal dans leur peau.
Une réaction se produit alors sous forme d'articles,
de livres, d'émissions, voire de simples conversations,
jusqu'à devenir une préoccupation dominante.
Des progrès deviennent visibles, car de nouvelles valeurs
de santé et d'esthétique s'installent.
C'est ainsi que nos corps ne ressemblent plus guère
à ceux de nos grands-parents.
La diététique de la nourriture a touché
l'ensemble de la population.
Malheureusement, un mauvais usage du temps
ne fait pas grossir, et donc se voit moins.
Peut-être est-ce pour cela que le problème
ne passe pas encore comme une priorité nationale.
On en tombe, pourtant, tout aussi malade
que de suralimentation.
Ulcères, crises cardiaques ou cancers naissent
dans le sillage du stress, qui est au temps
ce que l'obésité est à la nourriture.
Il n'existe pas de diététique du temps et, pourtant,
le besoin est urgent : son absence menace notre bien être,
souvent notre bonheur, vraisemblablement le sens même de notre Vie.
Faire son examen de temps
Commençons par essayer de comprendre comment,
personnellement, nous en sommes arrivé là.
Examinons quelques-unes de nos nombreuses
manières de gâcher notre temps.
Que ce soit au travail ou à la maison,
nous avons des tâches à accomplir.
Petites ou grandes, ce sont elles
qui ponctuent nos journées.
Mais c'est nous qui, en principe, choisissons
dans quel ordre les effectuer et qui décidons des priorités.
En fait, voici comment les choses
se passent le plus souvent.
Nous faisons d'habitude :
- Ce qui nous plaît avant ce qui nous déplaît ;
- Ce qui va vite avant ce qui prend plus de temps ;
- Ce qui nous est facile avant ce qui est difficile ;
- Ce que nous savons faire avant ce qui est nouveau pour nous ;
- Ce qui est urgent avant ce qui est important ;
- Ce que d'autres nous demandent avant ce que nous avons choisi.
Ce n'est pas tout.
Ce qui est noté à une heure donnée sur notre agenda
prendra le pas sur des travaux auxquels
nous n'avons pas affecté d'horaire.
Nous sommes souvent plus disponible
pour les interrupteurs que pour nos propres priorités.
De même, nous traitons plutôt les problèmes
dans l'ordre où ils se présentent, ce qui n'est pas forcément
de rapport avec leur ordre d'importance.
Inutile de souligner que cette liste d'attitudes,
dans lesquelles chacun se reconnaîtra, au moins partiellement,
égrène tout ce qu'il conviendrait d'éviter
pour renouer une amitié avec son temps.
Mais c'est ainsi que nous agissons, depuis l'école,
et nous n'avons guère eu l'occasion de changer,
sauf parfois en pire, sous l'accumulation
des charges de notre métier.
Pour avancer, notre première étape consistera
à identifier, puis à surmonter,
quatre obstacles préalables :
- Nous ne nous connaissons pas assez nous-même ;
- Nous ne connaissons pas assez bien le temps ;
- Nous nous laissons trop encombrer par nous-même et par les autres ;
- Nous ne réfléchissons pas assez sur l'emploi de notre temps.
Nul ne peut savoir mieux que nous-même
les limites de la confiance que nous pouvons nous faire.
Personne n'a plus pâti de nos insuffisances,
n'est plus souvent tombé dans des pièges tendus par nous,
n'a été plus déçu par nous que nous-même.
Décider de ce que l'on veut
Nous ne pouvons prendre en main notre temps
que si nous savons ce que nous souhaitons en faire :
en gros et en détail, en fin de compte ou par étapes.
Ce qui implique de prendre conscience
de nos véritables objectifs de vie qui conditionnent
la manière dont nous allons leur attribuer du temps.
Petit exercice facile et concret : examinons nos horaires,
notre mode habituel de fonctionnement,
afin d'y distinguer entre les activités
librement choisies par nous et celles qui ne font
que répondre aux nécessités et aux demandes
de notre entourage, professionnel ou familial.
Il est ainsi très instructif de redécouvrir
notre emploi du temps en répondant, à chaque étape,
à cette question piège : « Est-ce bien moi qui l'ai voulu ? ».
Établir une amitié permanente avec notre temps
revient ainsi à nous le réapproprier, de deux manières :
en vérifiant chaque matin, que nous allons l'utiliser au mieux
et en nous assurant que cet usage est
au bénéfice de nos propres objectifs de vie.
En résumé :
1 - Une porte ouverte sur le stress :
Paradoxalement, l'impression de manquer de temps
semble croître alors même que nous disposons
de plus en plus de temps « libre ».
L'explication est que, par désir ou par manque d'organisation,
nous voulons faire tenir un nombre d'actions croissantes
dans vingt-quatre heures incompressibles.
Le plus souvent, nous nous stressons nous-même.
2 – Une prise de conscience personnelle :
L'essentiel des améliorations possibles
dans notre rapport au temps est déjà à notre disposition.
En faisant un examen précis et lucide
de nos comportements quotidiens et de nos vraies priorités,
des pistes concrètes s'ouvrent vite.
3 - Un progrès existentiel :
Nos vingt-quatre heures quotidiennes sont incompressibles,
mais nous pouvons en faire un meilleur emploi, pour disposer
de plus de vie, d'autonomie, de liberté de choix.
© Jean-Louis Servant-Schreiber
Journaliste, patron de presse et essayiste français
A retrouver dans la rubrique :
Thématiques Existentielles (Psychologie & Conseils)
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